Cette mention sur ce système élaboré, dans « ma boîte à outils », ne peut même pas avoir la prétention d’un article. Au plus, sera-t-il une note, tant le sujet, où il est question de points de virgules et d’autres signes, est épineux ; j’entends : riche, complexe, souvent savant, parfois objet de discordes, par exemple entre écrivains et éditeurs, voire est inexistant : son absence signifiant d’autres sens.
Dans mon métier d’écrivain public, de rédacteur-conseil, depuis maintenant treize ans, la ponctuation est toujours et encore, de plus en plus, un sujet pour montées d’adrénaline. Pourtant la définition, donnée par le très avisé correcteur, Jean-Pierre Colignon, dans Dictionnaire orthotypographique moderne, éditions CFPJ, paraît entendue. Il écrit : « La ponctuation a deux visages : celui de la ponctuation grammaticale, soumise à des règles imposées par la logique ; celui de la ponctuation expressive qui laisse une plus grande part à l’interprétation personnelle. »
Alors, souvent, ma raison et mon cœur, ils balancent !
J’ai commencé à m’intéresser (au-delà du parcours scolaire) d’un peu plus près à l’histoire de la ponctuation en lisant : Le Dieu manchot/José Saramago, W ou le souvenir d’enfance/Georges Perec, le monologue de Molly Bloom dans Ulysse/James Joyce, etc. Comment est-il possible que des écrivains s’affranchissent de la ponctuation, de ses règles… et pour notre plus grand plaisir ?
Alors, j’ai consulté, lu, nombre d’articles savants, d’ouvrages de référence : Traité de la ponctuation française/Jacques Drillon, L’art de la ponctuation/Olivier Houdart, Sylvie Prioul, Le bon usage/Maurice Grévisse, etc.
Par cette ponctuation qui s’est élaborée au fil de l’Histoire, j’ai découvert que l’on :
- voyage dans le temps : de plusieurs siècles avant notre ère, puis au Moyen Âge et jusqu’au XIXe siècle pour parfaire les codes actuels ;
- voyage dans l’espace : de l’Égypte à la Grèce, de l’Irlande à l’Italie, la France en passant par l’Allemagne…
- choisit, tel un sculpteur, de laisser son œuvre à l’état brut ou de lui donner, là, le tamponnement du ciseau qui incise la matière, l’inclinaison du poinçon qui façonne le portrait, le coup de burin qui affirme le caractère. Le point fort, celui qui termine, qui achève un raisonnement (peut-on d’ailleurs achever ?).
À propos de l’usage de la virgule, j’aime retenir qu’il faut prendre garde à ne pas « persiller », à porter les incises aux bons endroits pour éviter le janotisme (un contresens drôle ou fâcheux), que la virgula suspensiva (point et virgule « couple fusionnel ») me renvoie à Ô temps, suspends ton vol.
Qu’en réalité, la ponctuation est une palette d’émotions portant une voix intérieure.
Elle ne peut être exclusivement l’application mécanique et grammaticale d’une codification. À l’image d’une sculpture, il ne reste que l’œuvre sans le poinçon, le ciseau, le maillet, le burin qui a incisé, buriné, taillé, creusé, façonné, tranché la matière. Ne subsiste plus que souffle, hésitation, rigueur, questionnement, colère, valse-hésitation… harmonie, silence [à dessein je ne mets pas de point]
Aussi, suis-je très perplexe avec la présence du signe « point médian » dans l’écriture inclusive dont l’objectif est de viser à une égale représentation entre hommes et femmes. À mes chers amis (hommes et femmes), je devrais leur préférer : « À mes cher·e·s ami·e·s ».
La palette d’émotions y est-elle présente ? ce point médian est-il au service de ma déclaration ? J’en doute si je me réfère à la charge émotionnelle contenue dans chaque signe de ponctuation et du point en particulier.
Certes, il est ici médian, ni fort ni faible, mais tout point fragmente, fractionne. Toujours. Il perce la matière. Cette utilisation de la « découpe » me fait étrangement penser à ces immeubles vendus par appartement reléguant souvent leurs occupants à la périphérie. L’écriture inclusive souhaite manifester l’égalité « hommes femmes » ? Orientation louable. Mais en tranchant la langue, en supprimant l’émotion, il n’est pas certain que son objectif soit atteint, et ce faisant, elle crée une autre injustice, celle de marginaliser nombre de nos contemporains, souvent les plus fragiles, les plus démunis.
Ah ! Mes chères amies, mes chers amis, n’hésitons pas à nous qualifier, deux fois, nous y introduirons du temps, pour user ou pas, comme il convient, de cette ponctuation selon notre cœur et/ou notre oraison.
Sophie Gava, rédacteur-conseil