L’un et l’autre ont l’art de bousculer l’espace et le temps, sans vaisseau spatial et sans théorie.
Le premier nous y transporte par l’évocation d’expériences sensorielles : « Ce n’est pas le contenu de ces souvenirs qui compte, mais leur surgissement, brusque et éblouissant. » Jacqueline de Romilly nous le livre dans Les Révélations de la mémoire, l’un des derniers opus écrits tandis que sa vue s’enfuyait. À cette helléniste qui m’a éveillée au sens de ces petites expériences du quotidien, je sais une infinie reconnaissance. Ainsi, pour moi, de l’émersion de senteurs de buis en passant à l’angle de l’église Saint-Nizier ou sur la place de La Libération à Troyes dans l’Aube. Merveilleusement a surgi ce plaisir de l’enfance éprouvé aux abords de l’allée ombragée, bordée d’arbustes conduisant à la maison de mes grands-parents. Expérience saisissante et qui m’a transportée.
Le second s’apprécie comme un digestif à laisser tourner en bouche, avec délice. Bernard Pivot a l’écriture généreuse, gourmande. Dans, La Mémoire n’en fait qu’à sa tête, éd. Albin Michel, il nous relate son expérience de lecteur vagabond. Non celle d’un bouquineur qui papillonne, mais celle qui illustre le pouvoir de l’écrit : « On s’arrête tout à coup de lire. Sans pour autant lever les yeux. Ils restent sur le livre et remontent les lignes, reprenant une phrase […]. Ces mots, ces simples mots, ne nous évoquent-ils pas notre enfance, un livre… […] » Oui, il nous confirme ce rôle que peut avoir l’écrivain, celui de nous faire passer dans un autre temps.
Deux exemples de récits où, écritures et mémoires nous ouvrent, plus qu’à des mondes… à l’univers.
Sophie Gava, rédacteur-conseil